Le 21 Novembre 1955 sortait dans les salles de cinéma d’Athènes un film qui allait déchaîner la critique avant de s’imposer comme une œuvre légendaire du cinéma Grec, « Stella », du réalisateur Michael Cacoyannis (Μιχάλης Κακογιάννης), avec comme actrice principale Melina Mercouri (Μελινα Μερκούρη) et la musique remarquable du compositeur Manos Hatzidakis (Μανος Χατζιδάκης).

L’histoire, qui pourrait paraître banale, ne l’est en aucun cas lorsqu’on la met en perspective de la situation de la Grèce de 1955, de la société Grecque en général et de la femme en particulier. Le film est en effet totalement représentatif de la société Grecque de cette période, des contradictions dans laquelle elle évolue, de la place de la femme et des relations hommes / femmes à cette époque. 1955, ce n’est en réalité que 6 ans après la fin de la guerre civile, 10 ans après la fin de la guerre et de l’occupation, et 30 ans après le séisme provoqué dans la société et la culture Grecque par l’échange massif de population après la crise micrasiate de 1922.

Stella, film légendaire GrecDe quoi parle-t-on ? Stella est une femme belle, sensuelle et indépendante, qui ne souhaite pas se marier. Elle travaille dans un bar de rebetiko : Le Paradisos. Malgré la forte pression sociale qui s’exerce sur elle, elle repousse systématiquement les avances de ses soupirants et subit la jalousie des autres femmes autour d’elle. Même dans son travail, Stella revendique libre arbitre et indépendance. Elle cherche en effet à moderniser son tour de chant et à s’extraire des canons du rebetiko. Elle lutte, le plus souvent sans succès, même si progressivement on observe que c’est moins elle qui accompagne les musiciens de sa voix que les joueurs de bouzouki qui s’adaptent pour mettre en valeur les chansons de Stella !

Stella choisit ses amants et rejette toujours l’obligation de se marier. C’est le cas avec Alexos, jeune homme de bonne famille dont les parents voient d’un mauvais œil la possibilité d’une union de leur fils avec une chanteuse de rebetiko, et ce sera aussi le cas avec Miltos, joueur de foot de l’Olympiakos, né dans les bidonvilles du Pirée. Tout au long du film se nouent de nombreux drames, mais Stella ne cède pas. Elle ne cède pas à la pression de la famille d’Alexos, finalement prête à accepter un mariage pour sauver la santé du fils chéri. Alexos, transi d’amour, meurt renversé par une voiture. Sa famille accuse Stella d’être responsable du drame. Stella ne cède pas plus aux premières avancés de Miltos, malgré ses menaces violentes, et se dresse littéralement face à lui pour lui signifier qu’elle est son égal et qu’elle rejette l’ordre patriarcal. Lorsqu’elle accepte finalement de se marier avec lui, et alors que la cérémonie est fixée le 28 Octobre, le Jour du Non en Grèce, elle ne se rend pas à l’église et fait la tournée des bars à Athènes passant la soirée et la nuit avec un nouvel amant. Au matin, alors qu’elle revient au Paradisos accompagnée d’Antonis, sa dernière conquête, Miltos l’attend au bar. Se joue alors le dernier acte du drame faisant de la scène finale de Stella une des scènes iconique du cinéma Grec.

Ce film est remarquable dès qu’on l’analyse à la lumière de la Grèce de l’époque. Après 4 ans d’occupation et de conflit mondial, puis 5 ans de guerre civile, la Grèce de 1955 est encore très conservatrice et patriarcale. Le système des dots obligatoires pour les jeunes filles à marier est encore en vigueur et la coutume selon laquelle il est impossible pour un homme de se marier tant que ses soeurs n’ont pas trouvé de mari (quel qu’il soit !!!) est encore largement appliquée. Le lieu de vie et le métier de Stella ne sont pas choisis par hasard. Le rebetiko est né en Grèce suite au cataclysme suivant la défaite Grecque de 1922, aux massacres des Grecs d’Anatolie et du Pont Euxin, aux rapatriements de réfugiés et aux échanges de population. Dans les années 30, le rebetiko et les bars à rebetiko furent interdits car considérés transgressifs et comme des lieux de débauche. Pourtant, les Grecs souhaitent dès 1955 conserver cette culture même si la société Grecque est encore marquée et divisée sur ce sujet, comme bien d’autres. Le personnage de Stella apparaît donc quasiment diabolique à une grande partie de la société Grecque. Certains journaux de gauche, considérés pourtant comme « progressistes », iront jusqu’à écrire que le film fait l’éloge de la permissivité perverse et immorale. De même, le compositeur Manos Hatzidakis, qui cherche à produire une musique mêlant au rebetiko des influences de jazz avec l’aide de V.Tsitsanis (célèbre joueur de bouzouki et compositeur de rebetiko) est qualifié par certains critiques de serpent maudit !

Autre point remarquable du film : ses références évidentes à la tragédie Grecque antique ! Stella a tout d’une héroïne élégante au panache classique! Elle conduit sa vie comme la conduirait une déesse de l’Olympe ou un héros mortel de la grande littérature classique antique. Comme Achille, elle préfère une vie courte pleine de panache et de plaisirs à une vie longue protégée mais ennuyeuse. La scène finale est digne d’une grande tragédie classique de l’antiquité : Stella, digne, sourire aux lèvres, tête haute, avance consciemment vers le destin tragique qu’elle a elle-même choisi !

D’un point de vue purement historique, le film Stella est l’occasion de découvrir ce qu’était l’Athènes des années 50 avant la folie des constructions immobilières et le bétonnage des années 60-70. On découvre ainsi de nombreux quartiers d’Athènes, connus ou inconnus, mais aussi les monuments ou quartiers historiques tels que l’agora romaine, la place monastiraki et la place syntagma à l’époque où la majorité des constructions sont encore celles de l’Athènes de l’après indépendance dans la deuxième partie du 19ème siècle. La caméra nous entraîne ainsi dans les quartiers de Plaka, Exarxeia, au lycabette, au marché aux puces de monastiraki pour découvrir une Athènes à jamais disparue.

Le film Stella fut le premier film dans lequel joua la divine Melina Mercouri. Elle y interpréta aussi une de ses chansons les plus célèbres : Agapi pou gines dikopo maheri (Amour qui est devenu un couteau à deux lames). Le film connu une renommée internationale : sélectionné et présenté à Cannes en 1955, il gagna en 1956 le Golden Globe du meilleur film étranger.

Il est considéré comme représentatif du nouveau cinéma Grec, avec une nouvelle génération d’acteurs, de réalisateurs et de compositeurs. Ce film est très clairement une légende de la production cinématographique hellénique. Découvrez-le sans plus attendre ! Nous vous mettons ci-dessous le lien pour le trouver ainsi que quelques aperçus mythiques !

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Stella, femme libre ICI

 

La chanson Agapi pou gines dikopo maheri :

La bande annonce sous titrée en français :

La mythique scène finale du film (en Grec) :