Tinos (en Grec moderne : Τήνος) est une île montagneuse du Nord des Cyclades grecques, dans la mer Égée méridionale, située entre Andros et Mykonos. C’est une île encore assez peu connue des touristes étrangers. L’exposition aux vents du Nord, principalement le meltem en été, peut dérouter le voyageur, au sens propre comme au figuré. Cette caractéristique a même fait que dans la mythologie, elle était la demeure d’Éole. L’eau est plus abondante sur Tinos que sur les autres îles des Cyclades et les vallées protégées du vent, comme celles de Livadia, Agapi ou Potamia, abritent des régions maraîchères fertiles qui ont fourni Athènes en produits frais jusqu’aux années 1950. La montagne, la mer, la nature et la gastronomie locale en font un lieu de ressourcement de plus en plus prisé.
En sillonnant les nombreuses routes de l’île, mais aussi les chemins muletiers, délaissant petit à petit le bord de mer pour vous élever dans la montagne à la découverte des joyaux que sont ses nombreux villages, vous découvrirez, nichés dans des vallons ou au creux d’une gorge, des constructions hautes et étroites à l’allure de tours, dont les côtés sont ornés d’une sorte de dentelle géométrique de pierre. Ce sont les fameux pigeonniers de Tinos !
Les pigeonniers (οι περιστεριώνες) constituent un des symboles de l’île tant ils sont nombreux et leur architecture est remarquable. Apprenons-en plus ensemble sur leur histoire et leurs caractéristiques.
La présence des pigeonniers à Tinos date de l’occupation Vénitienne. L’île passe en effet sous la domination de la cité des Doges suite au sac de Constantinople en 1204. Cette domination dure presque 500 ans jusqu’à la conquête de Tinos par les Ottomans. Les Vénitiens, habitués à faire commerce de l’élevage des pigeons et à en tirer des revenus confortables, décident d’implanter cette activité dans certaines des îles qu’ils occupent. Tinos et Andros sont les candidates idéales : le relief accidenté permet de trouver des lieux protégés du vent, et contrairement à nombre d’îles dans les Cyclades ces deux îles possèdent d’importantes sources d’eau. Les pigeons étaient alors recherchés pour la consommation de leur chair, considérée comme un met de choix, mais aussi pour leur engrais employé pour les cultures. Dans les écrits des voyageurs Français des 18ème et 19ème siècles, les pigeonniers sont de nombreuses fois l’objet de témoignages d’admiration pour leur nombre et leur architecture singulière. Ainsi, dans son récit de 1841 « Voyage dans l’Eubée, les îles Ioniennes et les Cyclades », le philhellène Français Alexandre Buchon relate : « De temps en temps, la vue est appelée par une petite maison blanche carrée et revêtue de sortes d’arabesques fantastiques; ce sont des peristerioni ou colombiers qui sont très multipliés dans l’île. Un des commerces de l’île est l’exportation en tonneaux de ces tourterelles confites dans le vinaigre. »
Pendant la domination Vénitienne, dans le système féodal, les pigeonniers constituaient une source de revenu des seigneurs. Mais suite à l’installation des Ottomans sur l’île, les habitants de Tinos, propriétaires terriens, obtinrent le droit de construire leurs propres pigeonniers. Rapidement, la possession d’un ou plusieurs pigeonniers, puis la qualité, la complexité et la richesse de sa décoration extérieure devinrent le symbole de l’appartenance à une classe sociale. Elle témoigne de la richesse de la famille possédante, au point que leur architecture et décoration dépassèrent parfois celle des maisons d’habitations attenantes. La multiplication des constructions conduisit à dénombrer près de 1000 pigeonniers à Tinos au début du 19ème siècle et eut aussi pour conséquence de stimuler le savoir-faire et la créativité d’une population d’artisans, tailleurs de pierres et de marbre.
Les pigeonniers étaient quasi systématiquement implantés dans des vallons ou des gorges, tournés dos au vent. Le large espace ouvert et protégé qui s’étendaient devant la construction laissait aux pigeons un espace calme pour voler. De plus, au fond des vallons, on trouvait généralement une source d’eau qui permettait quelques cultures favorisées par l’engrais naturel fourni par les pigeons.
Aujourd’hui encore, on peut admirer de nombreux pigeonniers localisés dans un environnement fait de culture et sources d’eau. En s’intéressant à l’architecture des pigeonniers, on remarque que trois des quatre côtés de la construction parallélépipédique possèdent des ouvertures ouvragées pour les pigeons, et c’est donc sur ces trois faces qu’on retrouve les fameuses dentelles de pierres aux formes géométriques. La face Nord exposée aux vents dominants est toujours aveugle. Généralement construits sur plusieurs niveaux, le sous-bassement sert soit d’habitation pour des ouvriers agricoles, soit de remise à outils, d’étable ou de grange. L’étage est bien entendu réservé aux pigeons. La porte du pigeonnier est généralement petite, avec une fermeture en bois épais, voire pour certains en pierre ou marbre, pour assurer une fermeture la plus étanche possible et éviter l’intrusion de serpents ou de souris.
Les matériaux utilisés dans la construction sont bien entendu la pierre et le marbre, mais aussi le badigeonnage à la chaux pour lutter contre les parasites et les crépis / enduits pigmentés de noir, gris ou blanc à base de terre de l’île. Tous ces matériaux donnent aux artisans, véritables artistes, une matière variée pour exprimer leur art dans la création de motifs géométriques. Ils les mélangent, les taillent, les associent jusqu’à former ces décorations extérieures si caractéristiques qui ménagent sur trois faces un nombre important d’entrées et de nichoirs aux pigeons. Plus le propriétaire du pigeonnier est riche, plus le travail de la pierre et des différents matériaux est complexe, et plus il se veut différent de la décoration du pigeonnier voisin. Les familles possédant des pigeonniers dans différents lieux de l’île demandèrent aux artisans de respecter une certaine homogénéité de décoration, de sorte que l’assemblage de certains motifs forma une sorte de blason familial sur les pigeonniers.
L’élevage et le commerce de pigeons, et son début de « libéralisation » pendant la domination Ottomane concoururent, avec la production de la soie, au développement de l’île dont la population quadrupla du XVème au XIXème siècle. Les pigeons étaient essentiellement exportés vers Constantinople et Smyrne (l’actuelle Izmir) où ils étaient revendus pour inonder tout l’empire Ottoman.
Même si aujourd’hui Tinos ne compte plus le millier de pigeonniers dénombrés à l’apogée de l’élevage des pigeons, on peut encore admirer environ 500 de ces magnifiques constructions, notamment autour des villages de Tarambados, Agapi, Potamia et Kardiani.
Références :
- Carte de Grèce – Wikipedia : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Greece_relief_location_map.jpg?uselang=fr#