Connaissez-vous le lien qui unit le héros mythologique Achille, l’île de Corfou et l’impératrice Sissi ? De prime abord, absolument aucune idée ne vient à l’esprit, et c’est bien normal. En effet, le héros de la guerre de Troie n’est pas sensé avoir connu l’île de Kerkira (nom Grec de Corfou) et encore moins l’impératrice Elisabeth de Habsbourg. Et pourtant ! Nous vous emmenons aujourd’hui à la découverte d’un joyau de l’île de Corfou à l’architecture et l’histoire stupéfiante : Le palais d’Achille, L’Achilleon, refuge corfiote de l’impératrice Sissi!
On connaît par cœur l’image charmante et traditionnelle de l’île de Corfou : le petit îlot de Pontikonissi et le monastère de Vlacherna reconnaissable entre tous avec son petit quai jeté par-dessus les eaux turquoises.
Mais lorsqu’on prend le temps de découvrir plus en profondeur Corfou, après avoir parcouru environ 10km depuis la capitale de l’île, on parvient en haut d’une colline à un superbe palais de marbre, chef d’œuvre du style néoclassique Grec, style architectural qui explosa pendant la deuxième moitié du XIXème siècle à la suite de la guerre d’indépendance Grecque (1821).
Nous voilà alors arrivés aux pieds d’un des plus beaux et luxueux palais du XIXème siècle construit, ici à Corfou, pour l’impératrice Elisabeth d’Autriche, surnommée Sissi, en 1889-1890.
Sissi cherchait à s’éloigner le plus souvent possible de la cour de Vienne. Elle avait développé une réelle passion pour la mythologie et la langue Grecques et fit partie des premières cohortes de touristes vers la Grèce de l’époque. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, on assiste en effet à l’émergence d’un tourisme essentiellement réservé aux aristocrates et familles royales Européennes dont la motivation est avant tout de partir sur les traces des principaux mythes antiques. Le contexte Ouest Européen de l’époque est celui d’un philhellénisme important. La Grèce fut d’ailleurs soutenue par les principales diplomaties Européennes pendant les 10 années de révolution Grecque.
Sissi foule le sol de l’ile de Corfou pour la première fois en 1861. A cette époque, l’île n’est pas encore revenue dans le giron Grec et fait encore partie de la république des 7 îles sous protectorat Britannique. Il faudra attendre 1864 pour que ces îles rejoignent la Grèce après la rétrocession de l’archipel par la grande Bretagne à l’Etat Grec. Corfou plaît beaucoup à l’impératrice car son environnement est plus vert et son climat plus tempéré que le Sud de la Grèce. L’impératrice est bien entendu reçue en grande pompe par les autorités locales et se lie d’amitié avec quelques représentants de la haute société corfiote, héritière des grandes familles de l’île dont certains membres émigrés apportèrent leur soutien financier depuis l’étranger à la révolution Grecque 40 ans plus tôt.
A la suite de ce premier voyage, Sissi se plonge totalement dans la découverte de la mythologie Grecque et réalise de nombreux voyages partout en Grèce, en Anatolie et dans les Balkans pendant les 25 ans qui vont suivre, mettant parfois en délicatesse la nouvelle famille royale Grecque qui a remplacé le propre cousin de Sissi, le roi Othon, depuis 1863.
27 ans après son premier voyage à Corfou, l’impératrice d’Autriche, qui souhaite de plus en plus s’éloigner de Vienne, décide d’acheter une villa à Corfou et de la faire raser pour y construire un palais de marbre néoclassique dans le plus pur style néo-antique. Elle confie la construction à un architecte Italien et lui demande de consacrer la construction au héros Grec Achille. Après avoir appris, lu et relu les écrits d’Homère et des grands auteurs antiques, elle s’est en effet passionnée pour le héros antique, fils de Pelée et de Thétis, et le considérait plus profond, plus sensible et plus complexe que tous les autres héros de l’antiquité. Elle dira ainsi qu’Achille représente « l’âme Grecque et la beauté de ce paysage et de ce peuple ».
En moins de 2 ans le palais est construit, massif, très luxueux, voir grandiloquent. Il n’en demeure pas moins un joyau architectural dans un cadre d’exception.
Autour de l’entrée du palais on découvre la végétation luxuriante de l’île, typique de l’archipel Ionien. Nous sommes loin des paysages Cycladiques arides et battus par les vents. Corfou est une île verte, couverte d’oliviers, de cyprès, mais aussi de pins, d’eucalyptus et d’agrumes. L’Achilleion est donc construit dans un écrin de verdure qui contraste avec les blancs immaculés des marbres que l’on retrouve dans ses colonnes, balustres, frises, et statues.
Le hall d’entrée et les pièces adjacentes, elles aussi dans le plus pur style néoclassique avec peintures murales à l’antique, font la part belle aux scènes mythologiques. Mais cette scénographie ne semble exister que pour mieux mettre en valeur le trésor des lieux: un escalier à double révolution entièrement fait de marbre et de fresques murales qui invite à l’emprunter pour s’élever dans la demeure et dans la démesure.
C’est en grimpant les marches de l’escalier que le charme opère, car une fois parvenu en haut, alors que l’on pense avoir découvert l’ensemble du palais, on trouve sur le dernier palier, surmonté d’une verrière, une peinture gigantesque figurant le triomphe d’Achille. Le héros conduit son char et traîne le corps d’Hector, chef des Troyens, devant les murs de la cité assiégée pendant 10 ans. En face de ce tableau s’ouvre une porte, et alors que l’on a grimpé plusieurs étages, surprise, on se retrouve sur une terrasse de plein pied, entourée de péristyles antiques, de fontaines, de statues et de jardins suspendus qui dominent la mer Ionienne et son bleu bleu profond ! L’ensemble est encore une fois voué à la mythologie et à la figure héroïque d’Achille. On profite ainsi successivement du péristyle dédié aux 9 muses, de la galerie des philosophes, de l’escalier des dieux le tout à grand renfort de statues. L’ensemble est une profusion de références à l’antiquité dans une végétation luxuriante. Au milieu trône la statue la plus célèbre, celle d’ « Achille mourant » qui reste le symbole de l’endroit, même si elle fut déplacée par le propriétaire qui succéda à Sissi et voulut remplacer la statue d’un Achille vaincu en position presque alanguie par un « Achille Victorieux« . Une statue en pied plus martiale qui correspondait davantage aux goûts du nouveau propriétaire : le Kaiser Guillaume II !
En effet, après la mort de l’impératrice en 1898, le palais est abandonné. L’empereur d’Allemagne, lui aussi amoureux de Corfou, négocie avec les Habsbourg pendant 2 ans et parvient à racheter le palais en 1907. Il le fait agrandir et fait déplacer les statues, ne voulant voir en Achille qu’un héros triomphant et victorieux. Le kaiser y séjourne chaque année plusieurs semaines jusqu’à la première guerre mondiale ,durant laquelle le palais est transformé en hôpital militaire par les occupants Français et Serbes.
A l’issue de la première guerre mondiale, l’Achilleion est donné à la Grèce en réparation de guerre. L’état Grec vend alors aux enchères une partie des collections puis y installe des services des ministères et une partie des collections archéologiques des îles de la mer Ionienne. A noter que la famille royale Grecque, qui à l’époque connaît une alternance d’exils et de coups d’état, ne s’approprie pas le palais. Il est vrai qu’elle dispose déjà d’un palais d’été à Corfou, le palais de « Mon Repos » où naquit d’ailleurs Philippe de Grèce (le duc d’Édimbourg, mari de la reine Élisabeth II).
Pendant la deuxième guerre mondiale, le palais retrouve sa vocation d’hôpital militaire mais cette fois pour les forces Italiennes et Allemandes. A la fin de la guerre, l’état Grec le transforme en école et en 1962 décide de nouveau d’en faire un musée au rez de chaussée et… un casino au premier étage ! Ainsi, pendant 30 ans, le palais de Sissi et du Kayser verra coexister deux utilisations diamétralement opposées : la culture et les jeux. Pour les fans de la culture « Bondienne », sachez que la scène de casino de l’opus « Rien que pour vos yeux » du célèbre agent 007 a été tourné en ces lieux en 1981 !
A partir de 1992, l’endroit redevient un musée à part entière et le gouvernement Grec l’utilise parfois pour des sommets Européens ou des conférences gouvernementales. Ainsi dans le palais d’une des plus célèbres impératrices d’Autriche fut signé en 2004 le traité de Corfou qui entérinait l’entrée dans l’Union européenne de trois nouveaux pays, dont l’Autriche !