La région du Péloponnèse est généralement assez connue et conduit nombre de visiteurs à en faire le grand tour pour découvrir les côtes, la Laconie, la Messinie, les sites d’Olympie, de Mycènes ou d’Epidaure. Aujourd’hui, nous vous invitons à oublier cette fameuse boucle qui conduit habituellement de Corinthe à Olympie en passant par Nauplie et Sparte, d’oublier les côtes de la péninsule et de plonger avec nous au centre du Péloponnèse, dans les hautes montagnes d’Arcadie qui révèlent une nature incroyable et des villages de pierre de toute beauté.
Cette région du Péloponnèse est historique à plus d’un titre pour la Grèce et les Grecs. Les habitants de la région, les Arcadiens, pensaient être le deuxième peuple autochtone de Grèce après les Leleges et pensaient que le dieu Zeus et d’autres dieux importants de l’Olympe étaient nés dans les montagnes d’Arcadie. Le nom même d’Arcadie provient de Arcas, roi de la région qu’on disait fils de Zeus et de la nymphe Callisto. Trompé par Artémis, Arcas tua sa mère lors d’une partie de chasse alors qu’Artémis avait changée celle-ci en ourse. Pour la sauver, Zeus la transforma en constellation et la mère d’Arcas devint ainsi la constellation de la grande ourse. A son tour, Arcas fut lui aussi changé en constellation et devint donc la petite ourse.
Mais les liens de l’Arcadie avec les dieux de l’Olympe ne s’arrêtent pas là. Le dieu emblématique de la région est le dieu Pan qui serait né sur le mont Cyllène des amours d’Hermès et d’une campagnarde… à moins que ce ne soit de Zeus et Callisto… ou d’Hermès et Pénélope… Les écrits ne sont pas très clairs. Pan est une divinité de la nature, le dieu protecteur des bergers et des troupeaux. On le représente souvent comme une créature ressemblant à un satyre, mi-homme mi-bouc. Ce dieu est très populaire même si il est ambivalent, comme le souligne son apparence : bienveillant et protecteur avec les bergers mais aussi colérique et ayant la capacité de faire perdre aux hommes leur calme (d’où le mot panique!).
C’est ce rapport du dieu Pan à la nature dans cette région montagneuse bucolique qui va construire l’image idyllique de la région. A l’époque de la renaissance Italienne, la région est associée à la notion de vie idyllique et harmonieuse des bergers et bergères dans une nature montagnarde mais douce. De cela s’inspirent de nombreux tableaux aux scènes pastorales au milieu de paysages montagneux, avec quelques ruines antiques et parfois la représentation de Pan. Au point qu’à Rome, en 1690, est fondée l’Académie d’Arcadie : ses membres portent chacun un pseudonyme pastoral et sont supposés imiter dans leurs pensées, mode de vie, et donc dans leurs écrits le bon goût et la simplicité supposée des habitants Grecs antiques de la région d’Arcadie. Un des tableaux les plus connus s’inspirant de l’Arcadie est le fameux « les bergers d’arcadie » de Nicolas Poussin peint en 1637. Il en inspira de nombreux autres ainsi que des sculptures et fut même au cœur d’une controverse le reliant à une autre région pastorale… Française cette fois : la haute vallée de l’Aude et le mystère de l’abbé Saunière à Rennes le Château… mais c’est une autre histoire.
Revenons dans les montagnes d’Arcadie. Plus récemment, dans l’histoire de la Grèce moderne, la région joua un grand rôle lors du soulèvement de 1821 qui marqua le début de la Révolution Grecque. Un des héros de la guerre d’indépendance, Theodoros Kolokotronis, était originaire d’un des villages perchés de ces montagnes : le petit village de Libovisi. Un autre héros, Kanelos Deligiannis, qui participa à la fameuse bataille de Tripolitsa, était originaire du village de Lagadia. Le fameux métropolite et évêque Germanos de Patras, qui réunit les insurgés le 25 mars 1821, pour lancer la révolution est né à Dimitsana, le fameux village-capitale du centre des montagnes de l’Arcadie. Par ailleurs, les nombreux monastères, notamment ceux des gorges du Lousios, proches de Dimitsana apportèrent financement, soutien et refuges aux révolutionnaires.
Enfin, pendant la dictature des colonels, de nombreux opposants politiques furent déportés en résidence surveillée dans ces villages de montagne réputés inaccessibles et suffisamment éloignés de toute civilisation pour éviter les communications avec de possibles contestataires. Le plus célèbre d’entre eux est Mikis Theodorakis, mondialement connu pour avoir composé la musique du film Zorba le Grec qui fut assigné à résidence au village de Zatouna. Ce village, situé à plus de 1000 m, d’altitude abrite désormais dans son ancienne école un musée dédié à l’artiste contestataire du régime des colonels.
La région se situe en plein centre du Péloponnèse. Elle est bordée à l’Ouest par les hautes montagnes de Mainalo (1980 m d’altitude) qui abritent une belle station de ski et séparent la région montagneuse du grand plateau de la ville de Tripoli. Au Nord, elle est bordée par les hautes montagnes de Kalavrita (2238m d’altitude) qui la séparent du golfe de Corinthe. Au Sud et à l’Ouest de la région, les montagnes s’adoucissent et rejoignent à l’ouest Olympie et au sud le grand plateau de Megalopoli.
La région est traversée par plusieurs gorges, souvent assez profondes, comme les gorges de Lousios entre les villages de Dimitsana et de Karitaina où les gorges de Gouras plus à l’ouest. Une première grande vallée au sud-ouest du massif de Mainalo abrite de nombreux villages de taille modeste généralement construits en balcon sur la vallée et entourés de sapins. Parmi eux on trouve le village d’origine de Kolotroni à Libovitsi, aujourd’hui simple hameau puisque les habitants ont abandonné les lieux à la fin du XIXème siècle.
En poursuivant cette vallée on arrive à un premier village d’importance: Vitina. Situé sur un plateau à 1000 m d’altitude, il s’agit d’un grand village commerçant entouré de sapins qui est souvent le lieu de ralliement des skieurs en hiver et des randonneurs en été. L’endroit fut aussi considéré de la fin du 19eme siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale comme le lieu idéal pour installer des sanatoriums pour guérir des maladies pulmonaires comme la tuberculose. On distingue sur les pentes des montagnes, au milieu des sapins, ces anciens établissements généralement de taille impressionnante.
A l’Ouest de Vitina, on s’enfonce progressivement dans des gorges de plus en plus étroites, bordées de montagnes couvertes de sapins. Sporadiquement des hameaux apparaissent sur des plateaux isolés. On parvient ensuite à une des perles de la région : le village de Dimitsana, construit sur une crête entre deux sommets dominant des deux côtés du village les profondes gorges du Lousios. Dimitsana est sans aucun doute un des plus charmants villages de la région avec une architecture caractérisée par de hautes maisons de pierre aux murs épais. C’est la ville de naissance du Métropolite Germanos (héros de la guerre d’indépendance) dont on peut encore voir la maison qui domine le village.
Le village a longtemps eu une importance économique majeure : les gorges et nombreuses cascades qui l’entourent fournirent une énergie hydraulique telle qu’on relève autour du village pas moins de 91 ruines de moulins ou ateliers hydrauliques. Ces tanneries, moulins à blé, fabriques de poudre d’armement sont un vrai patrimoine pour la région. Ainsi la fondation de la banque du Pirée a créé un musée à ciel ouvert qui décrit et reconstitue l’histoire et la technique de cette industrie travaillant uniquement, et ce depuis des siècles, avec l’énergie hydraulique. Tout cela apportait une richesse significative au village à laquelle s’ajoutait le soutient des habitants qui étaient parti s’installer faire commerce à l’étranger ou ailleurs en Grèce et envoyait des subsides à leur village natal. Ce fut par exemple le cas des familles Gouna et Leonardo qui, une fois devenus riches marchands de Smyrne, créèrent en 1770 une école et bibliothèque extrêmement fournie pour l’époque.
Dimitsana est aussi le point de départ pour de nombreuses promenades et randonnées dans les gorges du Lousios qui abritent ce que les Grecs nomment « le Mont Athos du Péloponnèse« : plusieurs monastères construits à flanc de montagne, souvent difficilement accessibles, et qui depuis le XIème siècle fournissent aux moines des lieux de prières entre ciel et terre. En avançant dans les gorges (qui font 26 kilomètres de long!), on parvient au village de Stemnitsa, autre village charmant de la région, bâti en amphithéâtre à flanc de montagne, et dont les ruelles de pierre qui serpentent entre de haute bâtisses offrent des vues incomparables sur la montagne et les gorges. En contrebas de Dimitsana, au fond des gorges du Lousios, on parvient aux ruines antiques de Gortina dont on situe l’apogée au 4ème siècle avant notre ère. Ici les traces de centres de santé dédiés à Asclépios ont été retrouvé : les Grecs antiques avaient installé des salles de soins et repos avec hydrothérapie utilisant l’eau des gorges.
A l’ouest de la région, les montagnes se font plus douces et la végétation change doucement. De petites routes sinueuses serpentent au milieu des sapins d’où commencent à émerger des cyprès donnant à la région des airs de campagne toscane. Les villages sont généralement encore construits en balcon mais avec des pentes plus douces. Le tout invite clairement à la promenade et à la détente, et on retrouve dans cette partie de la région l’imagerie traditionnelle que nous a livré la renaissance italienne et le baroque, quand ils se sont emparés des scènes pastorales de l’Arcadie.
La région a une gastronomie spécifique faisant la part belle au sanglier, marcassin, cochon de lait et chevreau. La cuisine locale utilise beaucoup de châtaignes, abricots, miel de pin et herbes de montagne. Un voyage en Arcadie est donc aussi l’occasion de découvrir une cuisine villageoise différente des grands classiques Grecs.
Vous l’avez compris, l’Arcadie, souvent oubliée de la découverte du Péloponnèse mérite le déplacement ! Les 4 saisons s’y prêtent et on peut allier la découverte des traditions et de l’histoire de la région tout en pratiquant randonnée, rafting, équitation ou même ski !