Lorsqu’on parle de Corinthe, on pense immanquablement aux raisins… ou encore au canal… Les raisins de Corinthe doivent leur renommée au fait qu’ils sont sans pépins et de petite taille, donc très concentrés en arômes. Le canal est célèbre dans le monde entier car cette tranchée de 6 kilomètres, imaginée depuis l’Antiquité, fut finalement creusée à la fin du XIXème siècle pour permettre aux bateaux de passer de la mer Ionienne à la mer Egée en évitant le tour du Péloponnèse. Une prouesse ! Raisins et canal sont indéniablement deux fiertés de Corinthe. Mais aujourd’hui, nous avons décidé de vous emmener à la découverte d’un autre trésor Corinthien : sa cité antique ! La cité antique de Corinthe fut une des cités les plus puissantes et importantes de la Grèce antique, un centre artistique et architectural remarquable, au point que Corinthe donna son nom à un des trois ordres architecturaux des chapiteaux de colonnes. On parle ainsi de chapiteaux de style dorique, ionique ou corinthien.
On arrive à l’antique cité de Corinthe peu de temps après avoir pénétré dans le Péloponnèse après avoir franchi le fameux canal. Elle est séparée de la ville moderne actuelle de Corinthe de quelques kilomètres. Le grand tremblement de terre de 1858 poussa en effet les autorités Grecques à bâtir une nouvelle ville au bord du golfe de Corinthe. Ce « déménagement » eut une conséquence importante : il permit de pouvoir engager, à partir de 1896, de profondes fouilles dans la cité antique. Ces fouilles furent effectuées par l’école Américaine d’archéologie d’Athènes (American School of Classical Studies). Les archéologues mirent alors à jour une des plus grandes Cités-Etats de la Grèce antique. Suivez le guide !
Difficile de résumer en un article la riche histoire de la cité de Corinthe. L’histoire de la ville est profondément mêlée à l’histoire de la Grèce antique depuis l’époque archaïque du VIIIème siècle avant JC jusqu’à la conquête Romaine, en passant par le siècle d’or classique et les guerres du Péloponnèse. Nous allons donc nous focaliser sur quelques points saillants qui permettent de mieux comprendre la fortune et le destin incroyable et singulier de cette cité.
Au VIIIeme siècle avant notre ère, le roi de Corinthe Bacchis fonde la dynastie des Bacchiades qui vont donner à la cité des caractéristiques qu’elle ne quittera jamais : essentiellement tournée vers le commerce, gérant et s’enrichissant des taxes pour le passage mer Ionienne – mer Egée, privilégiant l’art et l’architecture et fortement peuplée, la cité État de Corinthe est unique. La dynastie passe mais la cité continue son développement et crée ses propres colonies. La plus connue de ces colonies est Syracuse, en Sicile.
Au milieu du VIIème siècle, les Bacchiades sont évincés de la cité et remplacés par le règne des tyrans qui fondent eux aussi une dynastie. Tyrans car ils disposent d’un pouvoir absolu et sont arrivés au pouvoir par la force. Le premier d’entre eux est Kypselos. L’expansion de la cité n’en ralentit pas pour autant. Kypselos fait construire de nouveaux bâtiments et se lance dans l’établissement de nouvelles colonies, dont une en Égypte, qui doit offrir des débouchés importants aux produits importés et exportés par Corinthe. C’est aussi sous le règne des tyrans qu’est effectuée la première tentative de percement de l’isthme de Corinthe pour permettre le passage des bateaux sur les 6 à 7 km qui séparent la mer Ionienne de la mer Egée (du golfe de Corinthe au golfe Saronique). L’échec du percement va pousser les tyrans à trouver une autre solution. Ils font construire un passage pavé de 7km de long, sur un terrain présentant 79m de dénivelé : le diolkos. Un système de rail central sur lequel évoluent des chariots à roues permet de transporter la cargaison des bateaux (voire même les bateaux de commerce eux-mêmes !) d’une rive à l’autre. La cité de Corinthe propose ce service à tous et en profite pour se rémunérer au travers de taxes importantes. S’imposant comme carrefour et passage obligé qui facilite le commerce entre Orient et Occident, Corinthe devient alors un centre commerçant prépondérant dans les échanges entre les grandes cités état Grecques, leurs colonies et leurs clients. Elle crée aussi son propre artisanat, qui devient petit à petit une véritable industrie. Jusqu’à -550 av JC, Corinthe est le plus grand producteur de poteries.
Les tyrans sont remplacés par une oligarchie modérée qui décide de développer la cité sur 2 axes commerciaux : la céramique (dans sa version qu’on nommerait aujourd’hui grande série mais aussi dans sa version artistique) et les chantiers navals. La cité va développer son industrie navale grâce à un nouveau navire qui sera la star de la Méditerranée jusqu’à la fin de l’empire romain : la trière, une galère de combat rapide et maniable.
Pendant la période classique, sans surprise, la cité fait partie des différentes ligues et participe aux guerres du Péloponnèse.
C’est à cette période d’apogée économique et artistique que la ville est connue pour ses hétaires. Ces jeunes femmes, au nombre d’un millier, très bien éduquées, sont des entraîneuses de l’antiquité : elles servent les magistrats et grands marchands de la cité et les accompagnent dans leurs affaires et obligations mondaines, tout en gardant leur indépendance. Elles sont souvent très riches. Une des plus célèbres fut Laís de Corinthe qui monnayait si chèrement ses charmes que son nom devient proverbial dans l’Antiquité pour signifier un prix excessif.
C’est aussi à l’époque classique qu’apparaît l’ordre architectural Corinthien. Il est clairement le plus complexe et ostentatoire que les autres et traduit le luxe de la cité. La double rangée de feuilles d’acanthe et sa hauteur en sont les principales caractéristiques.
La ville participe aux guerres médiques contre les Perses : elle envoie plus de 400 soldats aux Thermopiles et aligne plus de 40 navires à la bataille de Salamine. La victoire contre les Perses acquise, la rivalité enfle entre Corinthe et la cité voisine de Megara qui souhaite étendre son pouvoir économique sur le contrôle des bateaux et créer un port concurrent à celui de Corinthe. Megara rejoint la ligue de Delos sous la protection d’Athènes alors que Corinthe appartient à la ligue du Péloponnèse, dominée par Sparte. C’est le début d’une opposition systématique entre Athènes et Corinthe pour les prochaines décennies. Les guerres du Péloponnèse sont marquées par un jeu d’alliances qui se font et se défont (Megara revient dans la ligue du Péloponnèse, Corinthe reproche à Sparte d’être trop conciliante avec Athènes, etc.). Progressivement Corinthe va finir par perdre toutes ses colonies, notamment la Sicile.
A la fin de la période classique (IVème siècle avant notre ère), la cité est ballottée d’alliance en alliance et ses terres ont été ravagées plusieurs fois. Elle perd son autonomie. Devant le danger Macédonien, elle finit par s’allier à son ancien ennemie : Athènes. Mais les guerres Macédoniennes vont être fatales à Corinthe : à l’issue de la deuxième guerre Macédonienne qui oppose Rome aux Macédoniens (Rome protégeant une partie des Grecs avant de se retourner contre eux), la cité est occupée par les Romains. Ainsi, en -146, la cité est prise par le consul Lucius Mummius qui tue tous les hommes, vend les femmes et les enfants et incendie la cité. Pendant près d’un siècle, Corinthe n’existe plus, avant que Jules César décide d’y refonder une ville nouvelle en -44. La ville renaît alors de ses cendres. Les grands temples d’Héra, d’Apollon et d’Aphrodite ainsi que le théâtre sont reconstruits. La production de céramiques et de poteries est relancée.
L’empereur Néron ordonne la reconstruction des deux ports sur le golfe d’Athènes et sur le golfe de Corinthe et lance même le percement du canal avec 6000 esclaves ! Les travaux du canal s’arrêteront un an plus tard à la mort de l’empereur mais la ville a alors retrouvé sa gloire passée.
Au moment de la scission de l’empire romain en 395, Corinthe passe du côté de l’empire romain d’Orient mais subit plusieurs séismes et invasions. La cité perd sa population et sa richesse. Une grande partie de ses pierres sont alors utilisées pour édifier un mur de protection au Nord de l’isthme de Corinthe pour protéger l’entrée du Péloponnèse.
Une des plus importantes et riches cités antiques Grecques tombe alors dans l’oubli pour 15 siècles ! Jusqu’à ce qu’à la faveur d’un nouveau tremblement de terre la fièvre archéologique de la fin du 19ème siècle permette la redécouverte de ce joyau.